Le musée Alaoui au temps du Protectorat (1881-1955)

René du Coudray de la Blanchère, premier directeur du service des antiquités de Tunisie (1885-95), et son chef hiérarchique au ministère français de l’Instruction publique et des beaux Arts, Xavier Charmes, sont les principaux acteurs de la mise en œuvre du projet du musée national tunisien, pensé d’abord par Kheireddine Pacha, et les conseillers du corps scientifique français en mission archéologique en Tunisie.

Seuls deux départements ont été ouverts au public en 1888. Situés au premier étage du palais de M’hammed bey, et accessibles par le grand escalier qui part du vestibule d’entrée ou driba, ces départements se composaient ainsi :
* Du patio couvert où était exposée une collection d’inscriptions latines dont le fameux lot de stèles votives néo-puniques de Maghraoua que détenait M’hammed Khaznadar. Cet espace reçut le nom de musée épigraphique selon la nomenclature muséographique de l’époque.
* De la salle de réception surmontée d’une coupole en bois doré où furent exposées mosaïques, céramiques et statuaire, et qui reçut le nom de musée antique. Les dimensions de cette salle (130 m2) permirent à l’atelier des mosaïstes du musée Alaoui créé vers 1885, d’y insérer au sol, la fameuse mosaïque dite du triomphe de Neptune, avec son cortège de néréides et de tritons.

Paul Gauckler, archéologue,  vivant dans la médina  de Tunis et attiré par la mode orientaliste, est nommé en 1896 à la tête de la Direction des Antiquités et des Arts. Il définit  le musée Alaoui, comme principal lieu de conservation et d’exposition des objets provenant des différentes fouilles archéologiques pratiquées sur le sol tunisien.
Sa redistribution des salles du palais se poursuit avec l’adjonction de :

  • L’ancienne salle à manger du palais, renommée salle d’Uthina (Oudhna)  réservée aux mosaïques de sol, statuaire et objets mis au jour au cours de ses propres fouilles.
  • L’actuelle salle de Carthage avec sa mezzanine, dont les proportions ont permis également d’insérer dans le sol, deux mosaïques de grande surface, illustrant le secret de la vinification livré par Dionysos au roi Ikarios, et celle de la vie rurale. La présentation de ces œuvres respecte le plus fidèlement possible celle du site, et permet une vision plongeante à partir de la galerie du deuxième étage.

Paul Gauckler réorganise l’exposition permanente du musée selon les critères de chronologie et de catégorie par type d’objets.
Ainsi les appartements du palais du premier étage et les dépendances du rez-de-chaussée, sont-elles aménagés pour accueillir :

  • Le département chrétien, l’actuelle salle de Thugga (Dougga), inaugurée en 1903 et qui expose bijoux et œuvres exceptionnelles.
  • Un musée arabo-islamique dans le « Petit Palais », et un atelier d’apprentissage du travail du stuc, dit  naksha hadida, installé dans l’ancien kiosque du jardin intérieur, à l’intention  des jeunes artisans tunisiens.

Paul Gauckler s’est chargé surtout de l’inventaire des collections du Bardo. Il est co-auteur, avec René du Coudray de la Blanchère du Catalogue du Musée Alaoui ( l’irremplaçable CMA), dont les suppléments ont été publiés par ses successeurs à la tête de la Direction des Antiquités et des Arts de Tunisie.

De 1905 à 1920, le nouveau responsable de la direction des antiquités, Alfred Merlin réorganise le musée en salles portant les noms des grands sites archéologiques tunisiens. Ainsi, tour à tour, ont été créées ou réorganisées les salles d’ d’Althiburos, de Carthage, de Dougga, de Sousse, de Thuburbo- Majus et de Thysdrus (El Jem).

La salle de Virgile, occupant la chambre à coucher de l’ancien harem, a accueilli la fameuse mosaïque représentant le poète de la latinité écrivant l’Enéide, découverte dans une maison de Sousse. Cette nouvelle nomenclature des salles, dont l’intérêt est de faire appel à la visite des sites, est encore d’usage de nos jours.

En 1913, deux événements animent les salles du musée Alaoui. Le premier est l’inauguration d’un département arabe dans les appartements privés du palais tunisien où une exposition  présente des collections ethnographiques et des produits de l’artisanat tunisien.
Le deuxième événement est la création d’un autre département réservé aux collections des fouilles sous-marines de Mahdia  qui furent dirigées par Alfred Merlin, entre 1907 et 1911.

Ainsi, un décret de 1907 transforme le musée Alaoui en un établissement public ayant une personnalité civile. Ce texte qui définit les prérogatives du musée et qui désigne ses ressources ordinaires, extraordinaires et spéciales, octroie un statut d’autonomie au musée dont le premier responsable est le directeur du Service des Antiquités et des Arts, secondé par un conservateur administrateur.  Bertrand Pradère, déjà en place depuis l’inauguration du musée en 1888, assurera cette fonction de gestion administrative du musée Alaoui jusqu’à son départ à la retraite en 1928.

Au début du XXe s, une association des amis du musée Alaoui est créée. Très active jusqu’au début des années cinquante, elle regroupe Européens et Tunisiens, aide financièrement le musée pour l’achat d’antiquités, et incite les collectionneurs à faire des dons. L’association a véhiculé une image positive de ce  musée en Tunisie et dans le monde.

L’entre-deux guerres est marqué par le passage de Louis Poinssot à la tête du musée Alaoui. Dans les années trente, une aile nouvelle est aménagée au premier étage, accueillant une collection de mosaïques (en particulier les mosaïques  à thème marin), et le mausolée provenant du cimetière des Officiales à Carthage, (cimetière des fonctionnaires de l’administration impériale dont une des tombes est donc exposée au musée). Les salles de la mosaïque d’Ulysse et des chevaux vainqueurs dateraient de cette même période. Louis Poinssot réorganise le département chrétien en 1932, en y insérant de nouvelles mosaïques au sol. Il crée, dans la salle à colonnade du rez-de-chaussée, un département islamique avec l’exposition d’une collection épigraphique funéraire, et déploie dans la grande salle Iwan du palais tunisien, un aménagement muséographique, alors que dans la salle attenante dite, judaica, des antiquités juives sont mises en valeur.